Depuis le mois dernier, Third Editions a enrichi sa collection RPG de deux ouvrages d’envergure. Sont donc sortis La Saga Final Fantasy VII Remake de Pierre Lovati et En quête de J-RPG. L’aventure d’un genre de Jordan Mauger. C’est ce second titre dans sa version classique qui a retenu toute notre attention pour notre critique. Après tout, lorsqu’on a baigné dans les RPG japonais, il est normal de vouloir en savoir plus sur notre attrait pour ce type de titre plutôt chronophage. L’auteur s’attaque donc à un sujet d’ampleur dans son ouvrage qui souhaite disséquer les rouages du genre pour tenter de comprendre ce qui caractérise le plaisir si particulier que l’on ressent, manette en main, lorsqu’on est happé par un J-RPG. Un pari audacieux qui prend la forme d’un essai de plus de 260 pages.
Le pari de Jordan Mauger est-il tenu ? Avons-nous éprouvé du plaisir à la lecture de ce livre ? C’est ce que vous allez découvrir à travers cette review.

Avant Propos

Si vous nous suivez un minimum, vous n’êtes pas sans savoir que l’on ne se plonge pas dans un ouvrage de Third Editions au hasard. En effet, cette maison d’édition est réputée pour le sérieux qu’elle propose et surtout pour l’exigence de son lectorat. Il ne suffit donc pas d’apprécier le thème d’un de leurs livres pour tomber irrémédiablement sous le charme de son contenu. C’est donc pour cela que l’on aime (ou pas) se plonger dans leurs ouvrages. Le néophyte risque souvent de perdre pied tandis que l’amateur éclairé trouvera matière à réflexion sur leur thème de prédilection.

En quête de J-RPG. L’Aventure d’un Genre ne fait pas exception à cette ligne éditoriale. Si son auteur, Jordan Mauger, a ainsi donné sa réflexion sur ce thème général c’est parce qu’il est tombé très tôt sur un titre qui l’a à jamais transformé. C’est ainsi qu’il débute son Avant-Propos, en nous expliquant son ressenti quand, âgé de 9 ans à peine, il a fini son premier J-RPG, un jour d’école à 8h du matin. Son sentiment si complexe, tout amateur du genre l’a partagé. Pour ma part, alors collégien, cela a été avec Final Fantasy III version US (donc le 6) sur ma Super Nintendo. Un plaisir quelque peu entaché par un problème d’adaptateur (connu) qui montrait un écran noir lors de la fin du générique et sa séquence à bord de l’aéronef. (Passage que j’ai pu admirer bien plus tard en me procurant la version sortie sur PlayStation.)
Il faut dire que le test de Grégoire Hellot paru dans le magazine Joypad donnait sacrément envie et qu’il m’a bien convaincu de me convertir au genre.

Depuis lors, ce sont des milliers d’heures passées en compagnie d’une troupe de héros pour vaincre le mal tapi dans l’ombre de royaumes enchanteurs. De Chrono Trigger à Octopath Traveler en passant par Persona et d’autres titres moins connus, plus obscurs mais non moins efficaces, j’ai du mal à évaluer le nombre de titres auxquels je me suis adonné. Point commun avec l’auteur, le dernier titre en date que j’ai terminé et qui aura marqué mon année 2023 est Dragon Quest XI.

Mais qu’entend-on vraiment lorsque l’on parle de J-RPG ? Finalement, le concept est un petit peu flou et le terme n’est pas si vieux que ça finalement. C’est en tout cas ce que nous indique notre professeur de philosophie dans son introduction. Après tout, le genre est venu en opposition aux jeux de rôle occidentaux développés sur ordinateur tels que Ultima. Sont ainsi opposés les C-RPG avec un C comme computer (ordinateur) et les J-RPG avec un J désignant le pays qui les a vus naître, le Japon. De nombreux sous-genres sont venus se greffer sur cette entité et l’amateur éclairé parlera par exemple de T-RPG (avec un T comme Tactical tel Fire Emblem) et d’A-RPG (avec un A comme Action tel Secret of Mana).

Mais cette définition est quelque peu simpliste, binaire et se révèle bien plus profonde que ça. C’est en tout cas ce que nous démontre l’auteur, en particulier aujourd’hui où certains titres qui reprennent l’essence du J-RPG ne sont pas pour autant issus du pays au soleil levant. (On pense notamment à Child of Light d’Ubi Soft ou à Undertale de Toby Fox)

C’est ainsi qu’à travers ses 3 parties de son ouvrage, l’auteur s’entête à décortiquer l’essence même du J-RPG pour mieux en définir ses facettes afin de reconstituer ces parties en un tout qui permet de comprendre l’essence même du genre.

Un genre disséqué!

Dans sa première partie, l’auteur décortique le genre à travers 4 chapitres. Le premier s’intéresse à une facette primordiale dans ce genre de titre et qui est évidente même si parfois oubliée, ce sont ses thèmes musicaux. En effet, il suffit de vous parler du thème de la victoire de vos affrontements dans Final Fantasy pour qu’un petit air gai et salvateur vienne s’immiscer dans votre mémoire auditive. De même, les notes du thème principal de Dragon Quest restent à jamais gravées dans la tête du joueur qui a déjà fait un épisode de la série. C’est ainsi qu’il vous suffit souvent d’entendre quelques notes de thèmes pour replacer le jeu et son contexte.

Mais même si la bande originale d’un RPG est primordiale, c’est également le cas des autres genres du jeu vidéo. Tout amateur de Street Fighter 2 saura reconnaître avec nostalgie les combats contre Blanka au Brésil ou contre M. Bison en Thaïlande. Néanmoins, le J-RPG associe ses thèmes musicaux à des images qui font voyager.

C’est dans son deuxième chapitre que cette facette du genre est évoquée. Du pixel sommaire à la dernière cinématique et au rendu époustouflant des derniers titres, l’essence même du J-RPG est de nous faire voyager. Un voyage qui, comme nous l’indique le titre du second chapitre « nous laisse des images plein la tête ». Et c’est ainsi que l’on se rend compte que les thèmes s’accordent parfaitement aux lieux visités. Ainsi, le joueur saura s’il est dans un labyrinthe, un village, une map monde ou un combat.

Dès lors, cette balade dans ces mondes imaginaires a un point commun dans tous les J-RPG : elle a lieu dans des mondes fermés. C’est ainsi que le 3e chapitre attire notre attention sur le fait que la liberté de ces titres est finalement toute relative. Longtemps décriée, cet aspect fait également la force du genre en proposant un scénario scripté et donc efficace. Une condition sine qua non pour approfondir la relation entre les personnages qui composent notre petit groupe. Car finalement, les J-RPG sont des jeux où nous ne sommes pas directement le héros. On dirige nos aventuriers, et même si l’identification est forte, contrairement à un Elder Scroll, ce n’est pas nous qui faisons le héros de l’aventure. De même, les « dissonances ludonarratives » ne sont pas rares dans le J-RPG, comme lorsque l’on pénètre une demeure pour « fouiller » armoires et coffres.

Ainsi, si le jeu de rôle occidental propose une exploration horizontale, avec un monde immense aux possibilités incroyables, où vous incarnez le héros, le jeu de rôle oriental a tendance à proposer une exploration verticale, plus profonde, où vous guidez le sauveur d’un monde. Même si l’opposition doit être tout de même plus nuancée.

Enfin, le chapitre 4 qui vient clore la première partie évoque la théorie de Joseph Campbell publiée en 1949 dans « Le Héros aux mille et un visages » qui pourrait s’appliquer à tous les JRPG. Car tous reprennent ce que nomme le mythologue américain « le Voyage du héros » en 5 actes. Toutefois, Jordan Mauger critique cette vision ethnocentrique qui gomme les spécificités du média. La théorie de Campbell part du haut vers le bas tandis que le joueur/spectateur va du bas vers le haut.

De plus, ce qui caractérise le genre est également le melting-pot dont les auteurs font preuve en reprenant des mythes anciens, des légendes ou des religions ! Vous trouvez des épées appelées Excalibur, vous invoquez Ifrit et combattez aux côtés de Valkyrie ou contre des dieux. Un aspect qui touche également les mangas et animés comme dans Evangelion du studio Gainax. Cet aspect dépayse le Japonais et crée un amusement pour le joueur occidental. Il n’est d’ailleurs pas rare d’approfondir les sujets en dehors du jeu pour un plaisir « paraludique » tel que pourrait le définir Fanny Barnabé qui évoque ce thème dans « Narration et jeu vidéo : pour une exploration des univers fictionnels ».

Enfin, même si le J-RPG est bourré de stéréotypes, ces derniers se révèlent utiles car ils montrent une « dynamique épique explicite qui cache un lyrique implicite » et fait souvent preuve de tragique tout en nuance.

Des stats et des combats

La deuxième partie de “En quête de J-RPG. L’Aventure d’un Genre” débute avec la place des caractéristiques des personnages, des armes et des ennemis dans le genre du jeu de rôle. Un domaine prépondérant qui amène l’auteur à constater que ce plaisir que l’on a à trifouiller dans les menus pour avoir le meilleur statut tend à déborder depuis quelques années aux autres genres du jeu vidéo. Ainsi, Borderlands a ouvert le bal en proposant une sorte de FPS-RPG où le « loot » est une activité encouragée. Ce délire des statistiques et de la recherche de récompense se retrouve même dans la vie réelle avec des applications qui décortiquent votre temps passé devant votre écran ou qui vous incitent à faire vos 6 000 pas quotidiens et plus si affinité. Ainsi, certains organisent un peu leur vie comme dans un J-RPG, à la manière d’un Persona qui propose d’organiser votre journée d’étudiant. Allez-vous boire un café avec une copine ou préférez-vous étudier chez vous ? Une dimension de gamification du quotidien qui finalement interroge et qui est reprise dans la 3e partie.
Désormais, « la logique numérique qui facilite le passage du qualitatif au quantitatif se retrouve dans notre façon de penser le monde ».

Autres points cruciaux qui font que l’on adhère ou pas à un J-RPG, c’est le système de combat. Car il faut le dire, les batailles occupent une part essentielle de notre temps dans un titre et peuvent se montrer parfois rédhibitoires. Parfois les titres gèrent mal l’« onboarding », c’est-à-dire le rythme d’enseignement des systèmes de jeu.

Les combats en eux-mêmes et leur rôle primordial dans le genre sont plus clairement exposés dans le Chapitre 4 qui clôt la partie 2. Ceux-ci sont de vrais « théâtres de poche » qui ont su évoluer avec la technique. Mais l’une des marques de fabrique du genre, c’est le « fwoooosh ». Vous savez, le moment où tout bascule pour rentrer dans le combat de manière aléatoire ou lorsque vous touchez un ennemi visible.

 

La « contemplaction »

La troisième partie du livre évoque le détail qui fait pour l’auteur que l’on joue à un J-RPG. Pour lui, c’est lorsque nous sommes plongés dans un état « contemplactif ». Un terme qu’il a lui-même inventé (excusez du peu) et qui définit parfaitement l’état du joueur qui s’adonne à ce type d’activité. Contraction de contemplation et d’action, il permet de réunir le « game » et le « play ». On évitera d’en faire un verbe, mais ce serait :

« un type spécifique de play qui résulte de la présence au sein d’un même jeu vidéo des processus d’éclatement symbolique et iconographique, dans la narration et l’exploration, de mécaniques ludiques délibératives fondées sur la gestion tactique et stratégique de nos personnages et du monde ainsi que de combats explicitement séparés des autres séquences ludiques ». p216

Un état qui est à différencier du « Flow », terme inventé par le psychologue croate Mihaly Csujszentmihalye.

Enfin, l’auteur s’interroge sur le J-RPG actuel et son avenir… Il regrette par exemple que cet « état contemplactif » peut être gâché par la présence d’apparition inopinée d’un menu invitant à dépenser votre argent pour choper un DLC cosmétique autour d’un feu de camp. Ou cette pub vous invitant à vous procurer une extension exclusive qui marque le partenariat avec les personnages d’une autre licence à succès…
Car il ne faut pas se leurrer, le genre représente un véritable business. Les derniers titres coûtent des millions et les maisons d’éditions minimisent le risque de l’échec commercial. Par exemple, le dernier Final Fantasy est-il toujours un J-RPG ? Quant aux autres licences mythiques, elles ont tendance à se reposer sur leur laurier afin de ne pas bousculer les habitudes. Ce qui ne gâche en rien leur qualité, mais l’âge d’or du jeu de rôle japonais est-il terminé ? Pas si sûr pour Jordan Mauger. Car à côté des mastodontes et des remake de titre en 2D HD se trouve de petits jeux indépendants qui proposent aux joueurs des moments d’ « état contemplactif ». Undertale de Toby Fox le prouve bien, et ce même si le titre n’est même pas né au Japon (lire notre critique du livre “l’anomallie Undertale. Décryptage d’un jeu monstre” publié chez Third Editions pour plus d’info).
C’est en fait aux joueurs de chercher par eux-mêmes des pépites méconnues. Il ne faut pas qu’il se contente de consommer ce qu’on lui propose.
Il faut savoir « s’aventurer, s’organiser, s’inventer » et ainsi rechercher la « contemplaction ».

Pour ma part… Je place de grands espoirs concernant Unicorn Overlord de Vanilla Ware prévu pour mars qui pourrait redonner un souffle épique au T-RPG.

Conclusion

L’ouvrage de Jordan Mauger est un essai sur le genre du J-RPG. Un exercice qui est donc sujet au débat mais qui pose les bases d’une réflexion sur un type de jeu qui nous tient à cœur. On appréciera les jeux de mots dans les titres, les références à la chanson populaire et les clins d’œil disséminés tels que celui à l’âge d’or de Berserk qui saura nous faire sourire entre deux pages de lectures assidues. On appréciera également certaines envolées lyriques telles que celle de la page 211 mais on regrettera néanmoins certains spoilers sans mise en garde concernant, par exemple, la fin de Final Fantasy 9 à la page 109.

Il aurait été également intéressant de se poser la question de la présence du fan service dans ce genre de titre (Disgaea et ses héroïnes, Blue Reflection : Second light et ne parlons pas de Seven Pirates H) qui aurait pu être évoqué dans le chapitre des stéréotypes. Mais ceci est une autre histoire qui pourrait faire l’objet d’un chapitre ou d’un livre tout entier consacré à ce thème.
En l’état, En quête de J-RPG. L’aventure d’un genre de Jordan Mauger, paru chez Third Editions, réussit son but et le lecteur achèvera la lecture de l’ouvrage avec de nouvelles interrogations mais avec une envie irrépressible de se lancer dans les joies du jeu de rôle japonais.

D’ailleurs, je vous laisse, il faut que je finisse Octopath Traveler.

*A noter que Third Editions propose également la version First Print de cette ouvrage avec une magnifique couverture signée Sourya Sihachakr . Plus d’info ici.
** Pour télécharger un extrait, veuillez cliquer ici.
*** Enfin, pour commander l’ouvrage, c’est sur le site de Third Editions que ça se passe.

En quête de J-RPG. L’aventure d’un genre

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Note

8.0/10

POINTS POSITIFS

  • Un livre écrit par un passionné fait pour des passionnés
  • L’humour dans les titres
  • De jolis illustrations signées Guillaume Singelin
  • Ouvre de nouvelles pistes de réflexions
  • Un beau livre grand format

POINTS NÉGATIFS

  • Quelques spoils sans avertissement
  • Le néophyte risque de s’y perdre
  • Le format du livre ne facilite pas sa lecture
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yancha

Rédacteur avec pas mal d'XP au compteur ayant grandi avec les bornes d'arcades à l'ère 8 et 16 bits.

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