L’envers du décor du 9ᵉ art, voilà ce que propose l’exposition Hyper BD, présente lors de cette 52ᵉ édition du Festival d’Angoulême. Cette exposition a pour but de montrer au public le quotidien d’un·e auteur·e de BD, que ce soit l’inspiration, le matériel ou la démarche pour démarcher les éditeurs. Camille Escoubet, cofondateur de la maison d’édition Super Loto Éditions et commissaire attitré de cette exposition, est revenu avec nous en détail sur cette exposition.
GeekNplay (GNP) : Pour commencer, serait-il possible pour vous de présenter brièvement l’exposition, s’il vous plaît ?
Camille Escoubet ( C.E ) : Alors, c’est une exposition créée pour la première fois dans le but de rassembler le concours Jeunes Talents, les écoles et l’exposition de nouvelles créations dans un seul et même espace. L’idée était donc de les regrouper sous la forme d’une exposition dont vous êtes le héros, afin de montrer au public tous les chemins possibles pour devenir auteur ou autrice de bande dessinée.
” Pour autant, il ne faut pas décourager les aspirants, mais plutôt leur montrer qu’il existe de nombreuses manières d’y parvenir, de se faire une place et d’exister dans ce milieu.” Camille Escoubet

GNP : Pourquoi était-il important, selon vous, de mettre en avant les coulisses du monde de la BD ?
C.E : Souvent, quand on n’est pas dans le métier, on connaît assez mal la manière de travailler. On en sait un peu plus sur les intermittents du spectacle, par exemple, comment ils vivent et fonctionnent. Mais concernant les autrices et les auteurs de BD, c’est moins connu.
C’est un milieu assez précaire et difficile, où beaucoup de personnes souhaitent devenir auteur ou autrice. Cependant, ce n’est pas toujours facile. Pour autant, il ne faut pas décourager les aspirants, mais plutôt leur montrer qu’il existe de nombreuses manières d’y parvenir, de se faire une place et d’exister dans ce milieu.
GNP : Vous dites que, dans l’exposition, le visiteur en est le héros. Justement, comment cela se caractérise-t-il ?
C.E : Alors, on endosse le rôle d’un auteur ou d’une autrice en devenir. En arrivant, on se demande si l’on va devenir auteur, comment y parvenir, et les choix que l’on fait tout au long de l’exposition nous y conduisent, d’une manière un peu fabuleuse. L’expérience se vit à travers l’exposition elle-même : les décisions prises influencent notre parcours de visite. C’est donc ainsi que l’on devient auteur, du moins le temps de l’exposition.
GNP : Pouvez-vous nous expliquer ce choix d’avoir mis en avant cinq auteurs durant l’exposition pour raconter leur quotidien ?
C.E : Il y a un effet de mise en abyme : ces auteurs présentent leur travail de bande dessinée, mais en même temps, ils dévoilent les coulisses de leur métier. Ce sont justement ces coulisses qui nous semblaient intéressantes à raconter.
GNP : Avez-vous constaté une évolution majeure dans le monde de la BD, notamment avec l’essor de l’IA, qui est évoquée par l’un des auteurs durant l’exposition ?
E.C : Alors, les évolutions, il y en a tout le temps. Par exemple, les fanzines dont je parlais tout à l’heure. L’étymologie du mot fanzine, c’est “fan magazine”, et dans les années 60, ce format est né grâce à l’invention de la photocopieuse. Cela a été une grande évolution. Finalement, cela a conduit à la bande dessinée alternative dans les années 90, qui s’est professionnalisée.

Aujourd’hui, effectivement, il existe de nouvelles pratiques. Avant, on se prépubliait dans des journaux ou des magazines. Cependant, actuellement, la presse a un peu de mal. Les réseaux sociaux ont pris le relais. Ce sont des métamorphoses qui existent, et l’IA va probablement en amener d’autres, dont l’impact est encore difficile à mesurer.
C’est pourquoi il était important d’en parler. C’était aussi crucial de marquer une différence avec les autres formes de bande dessinée numérique, car il en existe déjà depuis une vingtaine d’années. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y avait aussi une section consacrée au Minitel.
GNP : Dernière question, même si elle est un peu compliquée à répondre : selon vous, à quoi ressemblera la BD de demain ?
E.C : Elle sera multiple. Le monde de la bande dessinée est très vaste, avec des choses très mainstream, des séries qui existent depuis des dizaines d’années, et de nouvelles créations. Ça va continuer ainsi. Certains utiliseront l’IA, d’autres ne l’utiliseront pas.
Il y a une quinzaine d’années, on avait peur que l’édition numérique fasse disparaître le papier. Or, le papier n’a pas disparu. Au contraire, de nombreux éditeurs se sont mis à produire des livres de grande qualité, en mettant davantage de soin dans l’objet lui-même. Ils ont utilisé des dorures à chaud (une technique qui applique des motifs métalliques sur différents matériaux à l’aide de chaleur et de pression), des couvertures cartonnées, des toilages (une méthode qui consiste à coller les pages imprimées d’une BD sur une toile, souvent en lin ou en tissu renforcé, avant la reliure). Tout cela était une réponse à la peur du numérique.
Cet exemple montre qu’en face des évolutions, il y a souvent des contre-feux qui se mettent en place. Donc, la BD de demain sera toujours multiple et hypervariée. Après, nous nous adapterons en fonction de ce qui existe et de ce qui apparaîtra, mais il y aura toujours une grande diversité dans le monde de la bande dessinée.
GeekNPlay : Merci à Camille Escoubet d’avoir répondu à nos questions.